La Guerre des Boutons

J'ai reçu ce livre grâce à la dernière masse critique de Babelio. J'aime autant dire que je ne suis pas un jeune appelé de La Guerre des Boutons. J'ai en effet lu ce livre pour la première fois quand j'étais à l'école primaire et il m'avait alors fait la forte impression qui se doit ; c'est aussi l'un des  rares livres que j'ai toujours autant de plaisir à relire... Mais foin pour le moment de ces considérations et place à la chronique en tant que telle.
Résumé :
Dans un coin perdu de Franche-Comté, deux villages ennemis depuis des générations : Longeverne, où l'on est "rouge", et Velrans, où l'on est plutôt "calotin". Si les raisons précises de l'inimitié entre les deux villages sont presque oubliées, les gosses, à chaque rentrée des classes, ne manquent pas une occasion de se déclarer la guerre. Les deux bandes rivales cherchent avant tout à faire des prisonniers, lesquels, une fois tabassés d'importance, vont se voir soustraire leurs boutons, ceintures, lacets et autres accessoires - garantie d'une mémorable raclée reçue à la maison. Car dans ces campagnes pauvres, on ne jette pas l'argent par les fenêtres... Lebrac est le général des Longeverne et pour lui, l'honneur n'est pas un vain mot : alors, pour honorer la mémoire des générations de Longeverne qui ont rossé celles de Velrans avant la sienne, il est prêt à tout. Y compris à se battre nu pour empêcher les Velrans de lui voler ses boutons...
Fallait-il présenter l'intrigue de ce livre ? Eh bien, oui, ne serait-ce que parce que le succès des films (celui d'Yves Robert et sans doute aussi les deux adaptations concurrentes tout justes sorties, celle de Yann Samuell et celle de Christophe Barratier) est de nature à éclipser l'oeuvre originale. Je parlerai sans nul doute plus tard des comparaisons qui s'imposent entre le texte et ses adaptations (merci les amis A.C. de Haenne et Les Murmures). Il suffit de savoir, dans l'immédiat, que l'oeuvre de Pergaud est à mon sens une oeuvre centrale de la littérature française du début du XXème siècle, une oeuvre qui s'inscrit d'une façon résolue dans son époque, à savoir celle où le régime républicain atteint l'âge de la maturité en France (les deux précédentes Républiques n'ayant jamais dépassé l'adolescence voire même l'enfance). Ce n'est pas un hasard si le village des sympathiques héros de Longeverne est "rouge". Elément de compréhension plutôt absent des adaptations cinématographiques citées plus haut.

On met souvent La Guerre des Boutons entre les mains du jeune public. Même si, à mon sens, il s'agit d'un livre accessible sans problème aux jeunes lecteurs, cela n'en fait pourtant pas un livre pour le jeune public. Il s'agit de l'une de ces oeuvres pouvant se lire de plusieurs façons. Certaines allusions historiques, politiques, voire même biologiques, peuvent apparaître obscures aux yeux d'un jeune lecteur ; mais la langue "fleurie" des jeunes héros peut néanmoins favoriser l'acceptation du fait que tout n'est pas compréhensible dans un premier temps. Une lecture plus tardive, à un âge un peu plus mûr, permettra dans un deuxième temps de dévoiler toute la saveur de l'oeuvre aux yeux du lecteur déterminé à voir au-delà des gamineries de Lebrac et de sa bande. Louis Pergaud a réussi, en effet, à capturer un instantané d'une vie sociale, celle d'une bande de gosses à la campagne, mais des gosses qui - malgré leur réticence à la chose scolaire ! - ont intégré le fait républicain. La date qui apparaît en partie lors de l'écriture d'un cours, le mot "Alboche" (pour "Allemand") utilisé comme anathème, montre bien qu'une petite vingtaine d'années après son instauration, la Troisième République et les circonstances de sa proclamation n'ont rien de théorique pour eux. Publié en 1912, soit deux ans avant le début de la boucherie (où Pergaud devait d'ailleurs trouver la mort), ce livre est un témoignage des premières années de la France moderne. Les mêmes années qui furent aussi les dernières pour une part de la civilisation française contemporaine, le premier conflit mondial ayant sanctionné le début du déclin des campagnes dans notre pays. Nul doute, au passage, que les héros de cette petite guerre des gosses auraient pour certains trouvé la mort pendant l'autre guerre, celle que l'on dit parfois Grande.

D'autres éléments contribuent à faire la force de ce livre. Les sentiments professés par les jeunes héros sont criants de vérité. Je ne parle pas ici du "simple" bonheur d'avoir gagné une bataille contre la bande ennemie, mais plutôt de l'atmosphère de camaraderie qui règne entre les Longeverne (un peu moins sans doute parmi les Velrans... mais il est clair que Louis Pergaud a choisi son camp, dans cette histoire !), la dévotion des uns pour les autres (Lebrac n'hésitant pas à se lancer isolé à la bataille, au risque d'être piégé), mais aussi l'amertume de la traîtrise. C'est d'ailleurs au sort du traître que l'on perçoit la fragilité de la civilisation et des lois. Lebrac, jusqu'alors un chef plutôt raisonnable, se change soudain en véritable bête fauve et montre une exceptionnelle cruauté lorsqu'il s'agit de punir le traître. Un passage dérangeant qui me semble, à lui seul, prouver que La Guerre des Boutons n'est pas un livre destiné au jeune public.

Dans cette édition, le texte intégral est complété par trois autres qui ne manquent pas d'intérêt :
  • Les petits Gars des Champs, texte d'une conférence de Louis Pergaud donnée après la publication de La Guerre des Boutons. L'auteur revient sur les habitudes de vie de ses personnages, qui semble-t-il avaient choqué. Il reprend certains passages de l'oeuvre pour en justifier le réalisme. Les personnages familiers font d'ailleurs quelques apparitions dans son discours, repris dans des circonstances éloignées de celles de la guerre : le pillage des oisillons dans les nids et les jeux lors de la garde (celle des bêtes). Nul doute que ces détails, dans la pensée de l'auteur, lui auraient permis de reprendre ses personnages dans de nouveaux livres...
  • La Vie de Louis Pergaud, par Emile Pradel. Un exercice biographique (rien d'inattendu) permettant de découvrir un auteur qui a sans doute lui-même livré des batailles de gosses quand il l'était, puis est devenu instituteur "rouge" dans un pays "calotin" avant de monter à Paris. Une vie interrompue trop tôt quelque part entre deux tranchées...
  • Louis Pergaud Ecrivain, par Roger Denux. Analyse de l'oeuvre d'un auteur parti trop tôt (à trente-trois ans !) alors qu'il venait tout juste de connaître la consécration. Quelques données biographiques supplémentaires viennent éclairer les circonstances de la genèse de La Guerre des Boutons.
Un livre toujours aussi intéressant, augmenté ici d'un dossier final digne d'intérêt. Je ne regrette qu'une seule chose, la couverture qui reprend l'affiche de l'une des deux réadaptations. N'aurait-il pas été plus neutre de trouver une illustration plus originale ? Ou même de tenter... la sobriété ?

Voir aussi la fiche de ce livre sur Babelio.

Commentaires

Tigger Lilly a dit…
Au secvours la couverture en effet, c'est bien dommage car les "bonus" ont l'air vachement intéressant. Moi j'ai une vieille édition, celle où il y avait des jeux à la fin. Un très très chouette livre en tout cas.
Anudar a dit…
Tu parles de l'édition "Folio jeunesse". Il me faut avouer que j'ai celle-là aussi dans ma bibliothèque... Avec des illustrations très, très bien trouvées. Le bouquin qui a été lu et relu et qui en porte les traces :) ...