L'O10ssée

Cadeau reçu dans le cadre des célébrations des dix ans de la collection Folio SF, je n'avais pas encore trouvé le temps de critiquer ce petit opuscule fort intéressant, ma foi, et qui a la bonne idée de proposer un certain nombre de récits uchroniques parmi les dix annoncés... En lettres grasses, mes appréciations.

La route de Jérusalem (Mary Gentle) : dans un XXème siècle uchronique, l'ordre du Temple (qui a été pour nous détruit par Philippe le Bel au XIVème siècle) est le bras militaire d'une église dont le pouvoir s'étend sur le monde tout entier. Pouvoir contesté : il y a toujours une "sale guerre" en cours quelque part, menaçant l'équilibre des soldats de la foi pris entre leurs voeux d'obéissance à la hiérarchie et le pouvoir médiatique grandissant de l'ère de l'information. Une nouvelle distrayante mais sans plus, et qui finit un peu en queue de poisson, à mon sens.

Kenningar (Jean-Philippe Jaworski) : Egill Skallagrimson était un poète-guerrier viking d'une grande renommée. Pourtant, son destin sera d'être l'éternel second, derrière le barde celte Taliesin. Une succession d'événements va l'amener à construire une haine tenace contre son rival... Sera-t-il capable de se libérer de lui ? Une bonne évocation de cette période mal définie où les traditions de l'Antiquité cèdent la place à celles du Haut Moyen-Âge. La fin m'est apparue quelque peu... mystifiante...

Le constructeur (Philip K. Dick) : un homme, obsédé par la construction d'un bateau, met sa vie professionnelle et familiale en pièces afin d'aller au bout de sa folie. Mais jusqu'à quel point sa folie ne serait pas l'expression d'une forme de prescience ? Rien à faire avec Dick, je n'accroche pas à ses délires sur la nature du réel. Je ne prends pas le retournement final pour de l'habileté, mais pour de la fumisterie, à tel point c'est... bateau !

Chronos (Maïa Mazaurette) : une star d'envergure mondiale, ravagée par l'idée de vieillir et par le potentiel de sa propre fille qui s'affirmera bientôt comme une concurrente dangereuse, a recours aux douteux services d'un institut de médecine avant-gardiste... Mais à quel prix ? Marrant à lire, une variation intéressante sur le thème du vampirisme, une bonne surprise même si la fin est un peu attendue.

Vestige (Christopher Priest) : l'enterrement d'un écrivain célèbre. Une femme mystérieuse, qui est attendue mais qui n'appartient pas à son cercle de proches... Que va-t-elle trouver dans ce pélerinage vers une journée passée, jadis, avec cet auteur qui vivait en reclus sur son île ? Nostalgique, un peu de "fantastique". J'ai rien compris.

Ethologie du Tigre (Thomas Day) : l'éthologue a survécu à une attaque de tigre. Il a fallu des années pour lui refaire un visage quelque peu humain, et pourtant, il continue à défendre la cause des grands félins menacés par les activités humaines qui détruisent leur environnement... Voilà que des cambodgiens l'appellent à la rescousse. De macabres découvertes faites sur un chantier inquiètent les hommes d'affaires impliqués dans la construction... Y aurait-il un tigre mangeur d'hommes en liberté dans la jungle du Cambodge ? Ou bien la mauvaise conscience de l'être humain aurait-elle plutôt engendré une autre aberration ? Fascinant et inquiétant. L'éthologue est un beau portrait de fanatique sans y toucher. L'une de ses phrases m'a fait froid dans le dos.

Passagers (Robert Silverberg) : les êtres humains subissent depuis quelques temps une curieuse épidémie. Leurs processus intellectuels sont parasités par de mystérieux "passagers" qui s'amusent à leur prendre des heures entières de leurs vies où ils perdent le contrôle de leurs corps et dont ils ne gardent presque aucun souvenir. Un homme pourra-t-il retrouver la femme qui a partagé sa vie pendant trois nuits ? Une histoire belle et cruelle. Rien à dire de plus.

La bétonnière à mafiosi (Ray Bradbury) : un inventeur, déterminé à lire la fin d'un roman inachevé, conçoit une machine à voyager dans le temps afin de soigner l'auteur à temps. Parviendra-t-il à ses fins ? Une nouvelle où le voyage temporel débouche bel et bien sur une uchronie puisque le narrateur découvre, à la fin, que le roman Le dernier Nabab de F. Scott Fitzgerald est bel et bien achevé suite à l'intervention de l'inventeur.

Okw- (Stéphane Beauverger) : le Président de la République est accusé d'un crime : il aurait tué sa femme en public. Mais un homme possèderait un enregistrement lui permettant de l'innocenter... Quel sera son prix ? Voilà une histoire du "quotidien" et de la simple humanité, souvent médiocre dans ses aspirations. Très convaincant. Le titre est tout de même quelque peu énigmatique...

Utriusque Cosmi (Robert Charles Wilson) : la Terre a été détruite par l'Ennemi, mais la Flotte a sauvé l'espèce humaine par téléchargement. La Flotte parcourt la Galaxie pour sauver les espèces intelligentes qui s'agglomèrent à sa substance, pour former une conscience de groupe dans l'espoir, un jour, de comprendre la nature de l'Ennemi et peut-être le vaincre... Carlotta, qui s'était enfuie de chez elle peu de temps avant la destruction de la Terre, a décidé de ne pas laisser sa conscience enregistrée se dissoudre dans la Flotte. En économisant les ressources informatiques mises à sa disposition, elle espère ainsi découvrir la nature de l'Ennemi... Robert Charles Wilson, ou l'homme aux fantasmes de transcendance. J'ai quand même mieux accroché qu'aux autres oeuvres que j'ai pu lire de lui.

Le reste du recueil est constitué de courts textes où des auteurs présentent leurs goûts de lecteurs. A découvrir. Dans l'ensemble, même si je n'ai pas accroché à certaines nouvelles, je dois dire que je trouve que leur choix est très bien fait. Bravo, et merci !

Lire les avis de Guillaume, le Traqueur Stellaire, de Julien le Naufragé mais aussi de Ludo des Singes de l'Espace.

Commentaires

A.C. de Haenne a dit…
Il y a quand même du beau monde dans cette anthologie !

A.C.
Anudar a dit…
Oui, du beau monde, confirmé, connu, moins connu, surfait... pour tous les goûts, quoi.
Pitivier a dit…
ah ben si ca rentre dans le challenge, je m'en vais de ce pas remettre ce recueil sur le haut de ma pile... D'autant plus que Priest, Wilson ou Dick ca le fait.
Anudar a dit…
Excellente lecture, je confirme !
Guillmot a dit…
Mary Gentle est capable de mieux, c'est certain. P.K. Dick fut un auteur prolifique, le souci actuel reste de le lire en se plaçant peut-être dans un contexte passé, ce qui était original à traiter il y a 50 ans ne l'est plus forcément aujourd'hui. Maïa Mazaurette par contre, je l'ai trouvée très plate sur ce texte, Stéphane Beauverger ne m'a pas convaincu non plus, tout comme le court texte de Ray Bradbury. Le meilleur texte me semble celui de Thomas Day !

Ma chronique : http://www.traqueur-stellaire.net/2010/09/recueil-lo10ssee-folio-sf-en-dix-nouvelles/
Anudar a dit…
Dans l'ensemble, assez d'accord avec toi. Je vais te lier, bien sûr.
Anudar a dit…
Enfin, assez d'accord, sauf pour le Maïa Mazaurette : je n'irais pas jusqu'à dire que j'ai été emballé, mais pas au point non plus de dire que c'est plat ;) ...
J'ai eu le même ressenti avec Christopher Priest tiens... Mais j'ai eu ça aussi avec un de ses romans! ;-)

Mon avis : http://naufragesvolontaires.blogspot.com/2011/01/lodyssee-folio-sf-en-10-nouvelles.html

Thomas Day ayant sans doute servi le meilleur texte du lot.
Anudar a dit…
J'avais lu de lui Le Monde inverti, sympa et encore compréhensible. J'ai aussi lu Les Extrêmes et là je n'y ai rien compris non plus.

A certains moments j'ai l'impression qu'il y a des auteurs de SF pour qui un roman réussi, c'est un roman qui est incompréhensible pour ses lecteurs.
Ludo a dit…
Excellent recueil, et je me conforme à l'avis général sur la nouvelle de Thomas Day!

Mon avis : http://singesdelespace.wordpress.com/2010/10/10/l%E2%80%99o10ssee-folio-sf-en-10-nouvelles-bon-anniversaire/
Anudar a dit…
On dirait que cette nouvelle fait l'unanimité...

Je vous ai liés tous les deux, au fait.
Guillmot a dit…
@ Anudar : merci pour le lien !