FullMetal Alchemist, tome 23

Il fut un temps où les univers manga - connus alors surtout à travers une japanimation "bas de gamme" - étaient considérés comme "nippo-centrés", entre autres épithètes rien moins que dépréciateurs. Encore répandue il y a une dizaine d'années, cette bien négative appréciation ne peut plus être à l'ordre du jour. Les mangakas font preuve, en effet, à la fois d'une grande culture générale ainsi que d'une véritable capacité de synthèse. Ils parviennent souvent à recycler avec bonheur et talent des mythes étrangers à la culture traditionnelle japonaise. On ne peut plus, de nos jours, ignorer le phénomène du manga. Et surtout pas lorsqu'il réveille, et d'une façon très explicite, des interrogations sur la notion d'humanité.

Résumé :
Dans les années 1910, sur une Terre uchronique, l'alchimie mathématique remplace à la fois la biologie et la physique. La nation d'Amestris est l'une des plus puissantes au monde. Son armée redoutable est soutenue par le corps des alchimistes d'Etat. Elle est dirigée par un militaire, le général King Bradley. L'alchimie est régie par un principe simple, celui de l'échange équivalent : on ne peut rien produire sans fournir au préalable quelque chose d'équivalent. La pratique de l'alchimie est encadrée par des lois, par exemple celle qui interdit de produire de l'or, mais aussi une autre loi qui interdit la "transmutation humaine", c'est-à-dire, la production d'un corps humain à partir de ses constituants fondamentaux - par exemple dans le but de rendre la vie à un mort.

Quelques années avant le début de l'histoire, Edward et Alphonse Elric, âgés de douze et dix ans à l'époque, ont utilisé les connaissances trouvées dans la bibliothèque alchimique de leur père disparu pour tenter une expérience interdite : ils ont voulu rendre la vie à leur mère, qui s'est laissée mourir après que leur père les ait quittés. L'expérience, non content d'échouer, a très mal tourné. Le principe de l'échange équivalent a coûté à Edward sa jambe, et son corps tout entier à son frère Alphonse. Edward a tenté alors une nouvelle transmutation humaine afin d'échanger son bras contre la possibilité d'attacher l'âme de son frère à une armure et donc de lui rendre un semblant de vie.

Quatre ans plus tard, Edward est devenu alchimiste d'Etat sous le nom de "FullMetal alchemist". Désormais porteur de prothèse mécaniques pour remplacer sa jambe et son bras, il est toujours aidé par Alphonse, piégé dans son armure. Ils cherchent un moyen de récupérer leurs corps d'origine. Leurs recherches les mettent sur la piste de la pierre philosophale, qui permet, d'après la légende, la réalisation de transmutations alchimiques sans avoir à respecter le principe de l'échange équivalent. Mais leur quête va être perturbée par des incidents et des personnages très étranges. La situation politique d'Amestris est en effet loin d'être claire : le pays sort d'une guerre civile pendant laquelle une minorité ethnique, le peuple Ishbal, a été en partie exterminée. Scar est un fanatique religieux Ishbal blessé pendant la guerre par un alchimiste d'Etat. Après avoir survécu à ses blessures, il est devenu un tueur en série qui ne s'en prend qu'aux alchimistes d'Etat. Pour tuer, il semble utiliser des compétences alchimiques surprenantes. Ce n'est que l'un des adversaires qui va se mettre sur la route des frères Elric : les homunculus, des créatures pas tout à fait humaines qui portent chacun le nom de l'un des sept péchés capitaux, manigancent quelque chose d'ignoble dans leur mépris pour l'humanité... à moins qu'ils n'agissent pour le compte de quelqu'un d'autre ?

Le tome 23 continue le récit de la guerre civile qui s'est ouverte entre les différentes factions d'Amestris. Pendant qu'Alphonse Elric a fort à faire contre Kimblee, l'alchimiste psychopathe, et l'homunculus Pride, les combats dans Central City prennent un tour confus et dévastateur. Dans les sous-sols, la faction présidentielle aux abois depuis la disparition de King Bradley a libéré une armée de soldats-cyclopes artificiels et affamés. L'homunculus Envy est confronté au Flame Alchemist, Roy Mustang, soutenu par Edward Elric, Scar et quelques uns de leurs alliés. En surface, le frère et la soeur Armstrong font face à l'homonculus Sloth et aux troupes gouvernementales de plus en plus désorganisées. Les troupes de Briggs, fidèles à la générale Armstrong, se jettent dans la bataille. Dans le chaos, chacun avance ses pions pour le coup suivant : certains se battent pour prendre le pouvoir, d'autres pour l'idée qu'ils se font de l'humanité... d'autres encore pour réaliser le "sacrifice" prévu par "le père", le créateur mystérieux des homunculus. Edward et Alphonse, à présent séparés, se rapprochent-ils du moment de la récupération de leurs corps d'origine ?
FullMetal Alchemist est l'un de ces mangas qui éveille parfois des questions dérangeantes. Les concepts employés sont bien définis et restent simples, ce qui ne pose aucun problème d'assimilation. Ils ne sont pas trop enrichis au fur et à mesure du développement de l'intrigue (écueil qui pouvait paraître gênant dans Death Note par exemple). Et pourtant, ils fondent un univers complexe et troublant. Les personnages ne sont en rien manichéens. Ils commettent parfois des erreurs morales terribles et sombrent... mais peuvent aussi connaître une rédemption. En ce sens, ils paraissent très humains - et c'est à ce titre que FullMetal Alchemist, dans la cruauté qu'il leur réserve parfois, peut apparaître dérangeant. L'humain et l'inhumain s'y côtoient et s'y affrontent. Et certains personnages semblent prendre un goût tout particulier à la frontière floue entre ces deux mondes. Même les homunculus ne sont pas, dans certains cas, exempts d'ambiguïtés.

Dans le même temps, FullMetal Alchemist reste une série accessible aux adolescents, et même aux jeunes adolescents. Le dessin est à la fois "joli" (sans être caricatural) et soigné. Les thèmes abordés (l'espoir, le goût du pouvoir et ses conséquences, le conflit entre la nécessaire rectitude et les désirs cachés) sont universels et traités avec originalité : on peut y trouver matière à une réflexion presque philosophique. Ce qui n'empêche pas FullMetal Alchemist d'être aussi, et peut-être en premier, une série où l'action joue un rôle important. Les amateurs de combats homériques y trouveront leur bonheur. On y trouve aussi un humour qui permet de donner une dimension supplémentaire à la lecture, avec en particulier des private-jokes qui deviennent très vite accessible au lecteur, une fois qu'il est entré dans l'univers.

FullMetal Alchemist est donc une bonne série. Seul défaut, la parution des tomes en France est désormais liée à celle au Japon, ce qui veut dire qu'il faut attendre six mois ou presque pour avoir la suite... Le tome 23 est un véritable feu d'artifice mené de main de maître et ne dément pas la réputation de la série. Celle-ci s'achemine vers sa fin : nous verrons bien ce qui sortira de l'imagination fertile de son auteur.

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