Le Vide en littérature

Il faut avoir un certain culot pour oser donner à un livre un titre incluant le mot "Vide". Il faut en avoir encore un peu plus pour écrire une Trilogie du Vide. Si je vous dis Peter F. Hamilton, ça vous étonne ? Est-ce que ce nom vous dit quelque chose ?

Hamilton est connu du grand public en France depuis sa grande trilogie The Night Dawn (L'Aube de la Nuit). Allez... Rupture dans le réel, vous devez bien connaître ce titre. C'est le premier tome d'un space opera gigantesque en envergure ainsi qu'en ambition, et qui est à mon sens responsable du renouveau du genre pendant les années 1990 tout comme Les Cantos d'Hypérion (dont il faudra que je parle un jour). Et quand je dis gigantesque, c'est tout d'abord à cause de ceci :
L'envergure ne fait pas tout, et si The Night Dawn permet d'identifier Hamilton comme l'un des créateurs d'univers les plus prolixes de la littérature mondiale, je pense pouvoir oser dire que cette trilogie, si elle a son importance, ne saurait se comparer à un Hypérion où les enjeux humains sont bien plus novateurs et poignants. Somme toute, The Night Dawn n'est qu'une variation sur le thème du vampirisme/film de zombies où les morts possèdent les vivants in the future cependant qu'un messie satanique tire les ficelles de sa propre ambition en coulisses... Et où le gentil vient à bout à la fin du méchant à l'aide d'un gros deus ex machina qui est assumé jusque dans le titre du dernier tiers (en nombre de tomes, parce qu'en nombre de pages, on devrait plutôt parler de dernière moitié). Ce qui est une façon de dire que l'on sait comment cela va finir au moment d'ouvrir l'avant-dernier tome (revoir la photo, c'est l'avant-dernier à droite).

C'est sans doute pour cette raison que je ne me suis pas précipité sur un nouvel Hamilton par la suite, alors que des opus plus courts sont disponibles aussi bien en version française qu'anglaise. Et puis, je n'apprécie guère sa façon de considérer le capitalisme comme allant de soi.

A l'Eté 2008, c'est-à-dire cinq bonnes années après avoir lu The Night Dawn, je suis tombé sur une traduction d'une nouveauté de cet auteur, et en poche qui plus est : L'Etoile de Pandore. Le résumé m'a plu et je me suis lancé dedans, pour découvrir à nouveau un spectacle d'envergure, mais que l'expérience avait sans doute enrichi. L'équivalent du héros-pilote de vaisseau spatial-beau gosse à la cool-tête à claques (Joshua Calvert dans The Night Dawn), s'il existe ici, possède un rôle beaucoup moins prépondérant. A la place, une multitude de personnages bien plus intéressants trouvent leur place dans la série L'Etoile de Pandore/Judas Déchaîné. Il serait trop long de parler de tout le monde et je me contenterai de citer celui de la policière Paula Myo que j'ai assez envie de décrire comme un Javert féminin du XXVème siècle (si la référence vous échappe, voir Les Misérables), contrainte dans sa rigueur morale par l'eugénisme génétique. Tout un programme.

L'Etoile de Pandore/Judas Déchaîné constitue en fait une dilogie se suffisant à elle-même et relatant l'histoire d'une guerre future, celle de l'Arpenteur des Etoiles. Néanmoins, elle s'inclut dans un univers plus vaste, celui de la Saga du Commonwealth, où Hamilton raconte les débuts de l'aventure humaine hors de la Terre. Après la guerre de l'Arpenteur des Etoiles, l'espèce humaine a commencé une différenciation qui a mis fin à l'uniformité sociale des premiers temps de la Saga. Au début de la Trilogie du Vide, on se rend compte que l'humanité, dans sa course à l'évolution, se fragmente peu à peu en différentes obédiences : les Advancers recourent à l'amélioration biotechnologique "classique" et vivent surtout dans la périphérie de l'espace humain, les Highers favorisent les nanotechnologies (biononics) qui leur donnent des pouvoirs considérables sur les deux mondes (physique et virtuel), et les humains ordinaires. L'un des enjeux de cette fragmentation est celui d'une conversion perçue par certains comme inéluctable de l'ensemble de l'humanité aux dogmes des Highers, selon lesquels tout être humain finit par émigrer vers le centre du Commonwealth et accepter les implants nanotechnologiques avant, à terme, d'intégrer l'ANA (un univers virtuel doté d'une forme de conscience et de volonté de groupe, où néanmoins chaque conscience individuelle conserve son individualité). Bien entendu, certains groupes humains s'opposent à ce dogme. A l'échelle d'un monde, cela signifie que certains doivent être interdits aux Higher. Corollaire, c'est la fin de l'ancien Commonwealth où des trains circulaient d'un monde à l'autre par l'intermédiaire de trous de ver... Et cela constitue donc un très intéressant point de départ pour décrire une société beaucoup plus tournée vers l'espace que dans le tout début de la Saga.

L'histoire de la Trilogie du Vide s'ouvre par un premier roman, The Dreaming Void, où l'on apprend l'existence, au centre de la Voie Lactée, d'un univers artificiel, le Vide, surveillé par plusieurs civilisations extraterrestres. En effet, le Vide s'étend peu à peu en dévorant la matière qui l'environne et constitue donc une menace pour la Voie Lactée. D'anciennes tentatives pour supprimer le Vide ont échoué. On ne sait pas ce que c'est. On ne sait pas qui l'a construit. On ne sait pas non plus ce qui s'y passe à l'intérieur... quoique... Un être humain nommé Inigo, venu participer au projet de surveillance du Vide, a rêvé de ce qui s'y passait. Après avoir répandu ses rêves sur le réseau émotionnel global, le gaïanet (ce qui constitue à mon avis une citation des oeuvres finales d'Isaac Asimov), il est devenu le messie d'une nouvelle religion, Living Dream, dont les adeptes attendent le Pélerinage qui les conduira dans le Vide où ils pourront mener une vie de perfection. Bien entendu, le reste de l'espèce humaine et les extraterrestres alliés ou adversaires du Commonwealth redoutent cette issue, ce qui laisse présager nombre d'intrigues afin de déjouer le pélerinage.

Les enjeux sont posés presque d'emblée dans cette digne suite à L'Etoile de Pandore/Judas Déchaîné. Un péril galactique, une humanité qui subit plutôt qu'elle ne suit une évolution fragmentaire pour ne pas dire chaotique, des cultures différentes et des personnages malgré tout très humains. Bien sûr, l'un des protagonistes principaux évoque un peu trop le personnage de Mellanie Rescorai apparu dans le précédent volet (et ce n'est pas un hasard...), mais tous les autres sont novateurs, y compris ceux qui proviennent tout droit de l'époque de la guerre de l'Arpenteur. En particulier, on a le bonheur de retrouver Paula Myo. Le peu qu'il m'a été donné d'en voir jusqu'à présent (je viens de finir le premier tiers de la trilogie) m'incite à trouver une nouvelle définition pour ce personnage fascinant, qui constitue à elle seule une troisième voie entre l'archange et l'archidémon.

Quant à la façon dont les thèmes sont traités... Même si l'écriture d'Hamilton s'encombre parfois de détails assez peu nécessaires (les orgies sexuelles d'Araminta sont moins qu'indispensables à la compréhension du roman), il faut lui reconnaître une certaine capacité à faire des trouvailles. La chronologie qui se trouve à la fin du livre, bien détaillée à première vue, finit par se révéler au fil de la lecture pas assez remplie, trop incomplète et par conséquent alléchante. Les rêves d'Inigo nous sont égrenés au fur et à mesure que l'histoire progresse. On se retrouve donc plongé, pendant plusieurs chapitres, dans une histoire qui évoque plus l'heroic-fantaisy que la SF. Le lien avec le reste de l'intrigue est fait par l'intermédiaire des personnages qui, eux, connaissent l'ensemble de l'histoire... par exemple en l'ayant rêvée en ayant pris connaissance des rêves d'Inigo. Alors, rêve ou réalité, l'histoire de la vie humaine à l'intérieur du Vide ? Voici l'une des questions qui se pose pour les personnages, et du coup aussi pour le lecteur, qui se doute que d'autres choses sont à venir. Dans le même temps, on suit le fil d'un space-opera tonique, où des personnages ambigus semblent comploter quelque chose et produire un objet dangereux, sous les directives de certaines factions pas nettes de l'ANA. Eh oui : même au XXXVIème siècle, "government denies knowledge", sauf que là, on se coltine avec la disparition de toute la Voie Lactée. Rien de moins. En quoi la simple humanité des personnages auxquels on s'attache peu à peu leur permettra-t-elle de sortir du pétrin qui s'annonce ? Voilà une belle question, à laquelle le tome suivant, The Temporal Void, apportera sans doute quelques éléments de réponse... tout en soulevant de nouvelles questions plus pressantes. Car oui, Peter F. Hamilton connait son affaire. Chapeau bas, et longue vie.

Commentaires

Gromovar a dit…
Je suis totalement d'accorda avec toi. J'aime beaucoup ce que fait Hamilton. C'est un sacré créateur d'univers.
Anudar a dit…
Toi, t'es un rapide :) ...

Le tome trois de la trilogie est attendu dans les prochaines semaines en poche. Il est clair qu'il sera mis presque tout de suite en haut de ma PàL.
Gromovar a dit…
C'est les profs ça. Toujours au bureau en train de travailler.