Les Vestiaires

Il est rare qu'en ces lieux je chronique de la "blanche" comme le dit si bien l'ami Efelle. Cette fois-ci, la "blanche" va conquérir son droit de cité... en BD, à travers ma chronique d'un album signé par un jeune auteur dont j'ignorais jusqu'au nom, et dont j'ai eu vent grâce à une élogieuse critique de BoDoï.
Résumé : 
Un Collège anonyme. De nouveaux vestiaires qu'une classe de Quatrième ou de Troisième découvre avec stupeur : la disposition des lieux est bouleversée... d'autant plus que les douches, désormais, sont collectives ! Certains élèves plus délurés sauront asseoir leur ascendant sur les plus timides - mais d'autres, peut-être plus fûtés, sauront découvrir les secrets inattendus de ce lieu plus inquiétant qu'il y paraît. Au fil des semaines, à chacun des cours d'EPS, la tension liée à la promiscuité monte : pourra-t-elle se résoudre sans meurtrir les plus fragiles ?
Les éducateurs qui ont la charge d'adolescents le savent : l'âge des jeunes protagonistes (entre treize et quinze ans) de cette histoire est un moment compliqué, pour ne pas dire dangereux. Une société de gosses de cet âge est une société en réduction - mais là où, par chance, les sociétés d'adultes savent être à peu près policées par l'habitude réglementaire, celles des adolescents sont souvent beaucoup plus malsaines. Tyrannie de l'apparence et de la réputation, haine imprescriptible envers ceux qui sont différents, volonté de puissance : traits malsains qui transparaissent aussi dans le monde adulte mais qui, dans celui de l'adolescence, ne sont que peu réprimés, y compris par ceux qui perçoivent la cruauté du sort qu'ils infligent aux autres. Ici, les vestaires - à l'intérieur desquels se déroule toute l'action - servent de révélateur à la maladresse sociale des protagonistes : en se dénudant, de gré ou de force, les garçons de cette histoire se trouvent contraints à se regarder tels qu'ils le sont : les "beaux gosses" découvrent qu'ils se sentent paumés, les "loosers" se découvrent plus lâches qu'ils ne l'auraient cru. Et obéir aux ordres de la norme se révèle d'autant plus facile que celle-ci flatte souvent les fantasmes de violence que l'on ne sait pas encore, à cet âge, qu'il est peu souhaitable de les voir s'assouvir.

En toute logique, Les Vestiaires est une oeuvre d'une rare violence. Violence psychologique des garçons les uns pour les autres : dans cette classe, il existe un souffre-douleur dont le départ emmerderait tout le monde, car qui viendrait alors jouer son rôle social s'il venait à y renoncer ? Violence physique, bien sûr, qui résulte bien entendu de la première, et dont la couverture ne vient donner qu'un bref aperçu : elle en fait son apparition qu'au bout de plusieurs semaines et pourtant, elle apparaît d'ores et déjà inéluctable dès les premières pages. Quelque chose ne va pas bien, dans cette petite société, quelque chose ne va pas bien du tout, et ce n'est pas le défouloir du voyeurisme lascif - à travers un trou de serrure ou dans l'ombre des douches collectives - qui risque d'arrêter l'égrenage des secondes avant l'explosion : tout au plus le retarder un peu, en permettant aux protagonistes de se tenir à l'écart les uns des autres.

Le trait particulier de cette BD (on en jugera grâce à l'excellente BD interactive offerte par l'auteur sur le site de son éditeur) s'accorde à merveille de cette histoire moins potache qu'effrayante. Chacun des garçons possède sa propre identité, ses propres traits, ses propres expressions, qui le rendent reconnaissable au premier coup d'oeil. Au-delà de cela, chacun d'entre eux se révèle plus profond qu'il y paraît à première vue : moins méchants que bêtes, les protagonistes sont conscients d'être eux-mêmes prisonniers de leur passé, quand ce n'est pas de leurs rôles. Très bien pensé, jamais voyeuriste malgré son argument pour le moins cru, cet album est un très joli morceau de BD à lire sans modération. Histoire de ne pas oublier que les racines de notre humanité plongent dans le terreau de notre adolescence. Et que celle-ci n'est pas toujours marrante.

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